ESPACE A 7 h 52 aujourd'hui, la sonde américaine devait s'écraser volontairement sur ce corps céleste glacé pour en révéler la structure interne
Deep Impact à l'assaut de la comète Tempel 1
Julien Bourdet
[04 juillet 2005]
C'est une grande première dans l'histoire de l'exploration spatiale que devait réaliser ce matin la sonde américaine Deep Impact. A 7 h 52, heure de Paris, elle devait s'écraser volontairement sur la comète Tempel 1, d'une dimension estimée à 14 kilomètres sur 5, à 134 millions de kilomètres de la Terre. Et devenir ainsi la première sonde à interagir à ce point avec un corps céleste. Objectif : creuser un cratère suffisamment grand pour observer les couches plus profondes de la comète. Du jamais vu dans l'étude de ces corps de glace et de roches considérés comme les objets parmi les plus vieux du système solaire, supposés être restés intacts depuis la formation des planètes, il y a 4,5 milliards d'années (voir l'encadré). On comprend donc l'importance d'une telle mission.
Jusqu'ici, le programme établi par la Nasa a parfaitement marché. Le 12 janvier dernier, une fusée envoie depuis Cap Canaveral, Deep Impact, une sonde munie d'un «impacteur» en orbite. Et après plus de six mois de voyage dans l'espace, la sonde arrive à destination. Hier, un jour avant le crash, celle-ci a largué avec succès «l'impacteur», un petit engin d'environ un mètre sur un mètre et de 370 kg. Muni d'un système autonome de navigation pour corriger, si nécessaire, sa trajectoire finale, c'est ce projectile qui devait s'écraser sur la comète. Au même moment, la sonde principale ralentit sa vitesse pour ne pas elle-même aller se crasher sur Tempel 1. En fait, «l'impacteur» a été placé sur la trajectoire même de la comète. Cette dernière devait le rattraper et le percuter ce matin à 7 h 52 à 36 700 km/h, vitesse relative entre les deux corps, la comète allant beaucoup plus vite que l'engin spatial. A 500 kilomètres de là, le spectacle est filmé en direct par les caméras de la sonde mère pendant une quinzaine de minutes avant que Tempel 1 ne la dépasse et lui tourne le dos.
Comble de luxe, ce spectacle spatial, diffusé en direct sur le site Internet de la Nasa (1), tombe le jour de l'Independance Day, la fête nationale américaine. Cela est dû, en partie, au hasard de la configuration astronomique. Le 3 juillet, la comète passe dans le plan de l'écliptique (dans lequel tournent les planètes et la sonde Deep Impact) et le 5 juillet, elle est au plus proche du Soleil. Ce qui fait de cet objet, découvert en 1867 par Ernst Tempel, une cible de choix, qui a permis à la Nasa de retenir le 4 juillet comme date de l'impact. L'heure a ensuite été calculée pour que l'événement soit observé par le télescope de Mauna Kea à Hawaï et par le télescope spatial Hubble (voir ci-dessous).
Avant l'instant fatidique, la Nasa excluait pratiquement tout échec. «L'impacteur» devait atteindre sa cible «avec une probabilité de plus de 99%, et ce, quelles que soient les caractéristiques (taille, masse, vitesse de rotation sur elle-même) de la comète», précise Olivier Groussin, chercheur français membre de l'équipe de Deep Impact. Mais les scientifiques ne maîtrisent pas tout. Reste une grande interrogation : comment une comète réagit-elle à une telle «agression» ? Pour preuve de l'incertitude qui règne, les prévisions avancées par l'Agence spatiale américaine sur la taille du cratère créé par l'impact vont de la dimension d'une maison à celle d'un stade de foot.
Pourquoi une telle marge d'erreur ? On connaît peu de chose sur la structure des comètes, hormis le fait qu'elles sont constituées d'un mélange de glace et de roches. Tempel 1 n'est que la quatrième représentante à se faire approcher par une sonde spatiale, après Halley en 1986, Borrelly en 1998 et Wild 2 l'année dernière. Les observations ont permis de ne donner qu'une valeur approchée de la densité de ces corps glacés, qui varient, selon les calculs, de celle de la neige poudreuse à celle de la glace. «Ce qui change radicalement les conséquences du crash, explique Jacques Crovisier, de l'Observatoire de Paris-Meudon. Plus la densité est faible et moins le cratère sera spectaculaire.» Pour certains, il se pourrait même que la comète soit tellement poreuse qu'elle absorbe complètement le choc qui n'aurait alors que peu d'effets.
Ce dernier scénario constituerait une vraie déception pour beaucoup de chercheurs. Car tous espèrent en fait que l'impact arrache suffisamment de matière à Tempel 1, qui devrait alors connaître un sursaut d'activité «pendant des semaines, voire des mois», précise Jacques Crovisier. Mises à nu, les couches de la comète situées sous sa surface sombre se vaporiseraient, faisant augmenter l'éclat apparent de Tempel 1. Jusqu'à la rendre même visible à l'oeil nu, pensent certains. Les chercheurs pourraient alors comparer la composition des gaz éjectés par la comète avant et après le crash pour tenter d'y découvrir des différences. Ce serait alors la première analyse directe de l'intérieur d'une comète. Il est même possible que les astronomes détectent de nouvelles molécules «présentes naturellement dans l'enveloppe de gaz et de poussières qui entoure le noyau cométaire, mais en trop faible quantité pour pouvoir y être détectées», selon Hervé Cottin, du Laboratoire interuniversitaire des systèmes atmosphériques à Paris.
Les données prises par la sonde ainsi que par les télescopes terrestres et spatiaux juste après le crash et dans les semaines qui suivront, devraient révéler en partie l'histoire de la formation de Tempel 1. Et donc nous en apprendre beaucoup sur la formation même du système solaire. Après cette «mise en bouche», les chercheurs tenteront de progresser plus encore grâce à la mission Rosetta, qui devrait, elle, opérer une manoeuvre encore plus délicate en allant se poser sur la comète Churyumov-Gerasimenko en 2014.