Vous n’allez pas me croire et pour ne rien vous cacher, si je ne me connaissais pas jusqu’en mes plus intimes atomes, protons, neutrons, électrons et quarks, je ne me croirais pas ; c’est pour vous dire ! Nous avons enquillé l’allée et ses arbres aux feuillages caducs, au son des cris crissants sous nos pieds. Nous avons grimpé les quelques marches du perron situé à l’angle de la façade du palais et faisant face à la double porte vitrée fermée, nous avons marqué un temp d’arrêt avant de toquer au carreau pour nous annoncer. Mais là, pas âme qui vive ou plus exactement qui voit que nos nobles personnes quêtaient une réponse et plus précisément un individu disposé à nous accueillir.
Que nenni me serai-je écrié si par mégarde j’avais eu une velléité de me faire remarquer plus que nécessaire. Mais voilà, je ne tenais pas à froisser qui que ce soit, j’avais les nerfs en pelote, la gorge sèche, le nez bouché, les jambes en coton et une envie de soulager un besoin naturel qu’il eut été impossible de caser dans un bol de petit dejeuner.
J’ai cru un instant que Lorn allait balancer un coup de pied dans la poignée de la porte, à l’américaine, comme dans les films et les séries policières ; il avait pris son élan, pas l’animal bien évidement, avait pris soin de mettre Dame Gloute de côté et le flanc face à la double porte, prêt à s’élancer tel un crabe, pesant de tout son poids pour défoncer la forte structure de bois et de verre finement sculptée ! Imaginant qu’il serait dommage de démonter un tel ouvrage, je me mis en face de Lorn afin de lui interdire de se mettre en porte-à-faux avec la législation locale et les services de la protection des monuments historiques. J’ignorai bien sûr si de telles administrations existaient sur la planète Paplard mais surtout je ne voulais pas que nous nous mettions à dos qui que ce soit au sein du palais.
Au moment où j’alpaguais le grand escogriffe, un glandu fit voir sa face de crabe derrière la double porte. Il nous fit signe d’avancer et nous ouvrit la porte.
- Que puis-je pour vous chers voyageurs ? S’enquit-il.
- Nous avons un rendez-vous avec un membre du conseil, répondit Lorn sans se départir de son agacement du jour.
- Avec quel membre du Conseil ? Interrogea le loufia
- Comment voulez-vous que je le sache ? Rétorqua Lorn tendu.
- C’est pas à moi de deviner avec quel conseiller vous avez pris rendez-vous ! Vous devez bien savoir avec qui vous avez conclu une rencontre pour ce jour et cette heure ? Répondit le loufia
- Et bien figurez-vous que non ! Lorsqu’il y a quatre semaines nous avons pris contact pour un rendez-vous, le gland…, euh pardon l’agent qui nous a reçu nous a donner ce rendez-vous en nous disant qu’il n’était pas en mesure de préciser avec qui nous aurions notre entretien ; d’où l’impossibilité pour nous de vous donner le nom du conseiller disposé à nous entendre. Répondit calmement Dame Gloute.
- Ah bon ! Ah oui, euh, à vrai dire….cela n’est pas une situation courante, pas habituelle du tout ! Bon, je vais vous demander d’entrer dans le hall et de vous assoir le temps que je me renseigne sur la suite à donner à votre visite de ce jour. Rétorqua le loufia visiblement embarrassé !
Nous allâmes donc planter nos postérieurs sur le velours rouge de bancs mis à notre disposition. Et l’attente commença ! Elle dura bien plus que nous l’aurions souhaité mais que voulez-vous, nous sommes demandeurs et en tant que tel il faut savoir être patient !
Lorn faisait les cent pas et au bout d’un moment il fut évident que le nombre de pas dépasserait allègrement la centaine. Dame Gloute observait les lieux, imperturbable. Quant à moi, fidèle à moi-même, narrateur par excellence, je ne pensais rien et ne faisais rien d’autre que d’attendre que le flux du temps qui s’écoulait aussi réellement et sûrement que deux et deux font quatre, que ce flux, au détour de son chemin veuille bien nous ramener le loufia qui nous avait demandé d’attendre.
- Je ne le sent pas ce rendez-vous ! Fit remarquer Lorne aussi tendu qu’une corde à linge (Je voulais faire référence au string mais je me suis dit qu’à cette heure il y a encore des enfants qui sont connectés au net, alors…)
- Restes calme mon chéri ! Nous sommes là, donc au plus près de notre rendez-vous. Que veux tu qu’il nous arrive de pire ? Tenta de le rassurer Dame Gloute .
- Depuis que nous sommes sur cette planète nous allons de surprise en surprise, de déconvenues en déconvenues, de cafouillages en emmerdements, d’avancées en reculades. Depuis des mois que nous sommes ici nous n’avons faits aucun progrès notable nous rapprochant des archives. C’est énervant à la longue !
- Oui, conviens-je en tentant de contrecarrer la dérive de Lorn vers de sombres pensées qui auraient à coup sûr finis par nous le tarauder jusqu’au plus profond de la cervelle. Tu dois prendre ton mal en patience car il ne sert à rien de s’irriter ou de s’en prendre au premier gazier qui nous fait face car cela risque de nous porter préjudice.
- Je sais, je sais mais ils commencent à me les manger violement et je n’aime pas ça ! Vous me connaissez Gloute et toi, je suis plutôt quelqu’un de gentil, plus papier de soie que de verre mais là avec le temps ma patience me semble totalement usée, râpée comme un vieux pneu de bicyclette. Ne me demandez pas de rester calme, j’exulte et encore, je ne suis pas armé sinon je crois bien que j’aurais déjà fait péter les vieux et leur palais à la con !
- Ben voyons, tout dans la négo, dans la dentelle ! Tu préconise la guerre totale alors qu’il faudrait plutôt envisager l’approche diplomatique ; tu ne crois pas qu’il y a un décalage quelque part ? Toi qui a été journaliste de guerre tu devrais savoir que le conflit n’est jamais une solution d’avenir, que le bourre-pif a moins d’avenir qu’une main tendue lorsqu’il s’agit de faire avancer l’histoire vers une solution durable et surtout qui va vers l’objectif fixé. Ne te laisse pas embarquer dans une mélasse sans fin, reprends toi Lorn.
- Tu as sans doute raison, me répondit-il. Tout de même, ces crèves-debout ne font rien pour répondre à notre demande, ils n’en ont rien à foutre et je me demande même s’ils ne font pas exprès de faire traîner les choses pour que nous ne puissions pas consulter les archives ! Ils me bouffent la rate, le petit et les rognons !
- Oui et c’est à nous de ne pas battre en retraite, de nous montrer persévérants, de les mettre en porte-à-faux pour qu’ils préfèrent nous refiler ce que nous réclamons plutôt que de nous avoir sur les bras en permanence. A l’usure Lorn, c’est à l’usure qu’il faut les avoir, fit remarquer Dame Gloute.
- Bien vu Dame Gloute ! Finement raisonné ! Tu vois Lorn, lorsqu’on réfléchit tout en zénitude on peut envisager des solutions à court et moyen terme. Une stratégie se murit, on pèse le pour et le contre, on gamberge avec des neurones reposés, non excités et fatalement on déniche des voies qui méritent analyse. Bravo Dame Gloute.
Il fallait attendre et nous attendîmes, rongeant notre frein. Les minutes passèrent, les heures aussi et je fini pas me demander si nous n’allions pas devoir sortir toile de tante et lits de camp afin de monter le bivouac. Malheureusement nous ne nous étions pas préparés à camper sur place.